mercredi, 13 septembre 2006
Immigration : plus qu'un Eldorado, l'Europe est une île
En ce moment l'immigration clandestine bat des records. Nombre de candidats à l'exil sont issus du continent africain et qu'ils essayent de joindre les Canaries, l'île italienne de Lampedusa ou le sud de l'Espagne ... pour eux l'Europe est avant tout une île qu'il faut atteindre par la mer. D'où des histoires qui font tragiquement l'actualité et pas seulement l'actualité maritime mais l'actualité internationale.
Histoire d'une traversée depuis Saint-Louis au Sénégal (reconstitution Liens de Mer)
Le poisson est rare, le pêcheur se laisse tenter par une nouvelle activité beaucoup plus lucrative : devenir "passeur". Les hommes dans la force de l'âge regardent vers l'Europe car ici, le chômage atteint des sommets. Voilà 2 ingrédients de base à cette histoire.
Entre en scène les nouvelles technologies : le téléphone portable sonne, c'est très commode pour se donner RDV sur la plage à la dernière minute après s'être délesté de toutes ses économies voire de celles de sa famille entière. Embarquement sur une petite pirogue, pour rejoindre une plus grande pirogue (la désormais tristement célèbre cayucos) postée au large où s'entassent plus de 100 personnes. A bord : quelques jeunes gens qui disent connaître la mer et à qui le passeur "offre" la traversée, et fournit dans le meilleur des cas un GPS. Le passeur lui reste discret, traditionnellement les pirogues sont colorées mais elles ne possèdent pas de nom ... cela pourrait porter malheur. Beaucoup de passagers découvrent pour la première fois la mer, cette grande étendue d'eau, posée là entre 2 mondes celui d'hier à l'avenir bouché et celui de demain aux nombreuses promesses. Mais pour l'instant : horizon liquide à perte de vue, une promiscuité insoutenable, une alimentation laissant à désirer. A ces très mauvaises conditions de vie à bord, s'ajoutent l'appréhension face à cette inconnue qu'est la mer et la conscience diffuse des risques inhérents à toute navigation.
Si vous avez la chance d'arriver en face sur une île des Canaries l'astuce consiste à ne rien dire, rester muet comme une tombe, ainsi vous ne retournerez pas "au pays" (certains Etats africains ont signé des accords permettant de rapatrier leurs ressortissants d'autres pas, si vous ne dites rien vous aurez le bénéfice du doute). Au mieux après quelques dizaines de jours de détention, vous prenez l'avion et c'est les portes de l'Espagne qui s'ouvrent à vous avec ses petits boulots au noir tout particulièrement dans le ramassage des fruits et légumes, gros consommateur en main d'oeuvre peu qualifiée. Lecteurs de Liens de Mer, pensez-y quand vous dégustez tomates et autres pastèques espagnoles ...
Et demain, ces histoires de mer feront-elles encore la Une ?
Oui et non.
Non, dans l'immédiat il va y avoir une "pause" dans les mouvements migratoires pour cause de belle saison qui touche à sa fin. Ce qui explique d'ailleurs que les records d'affluence aient été battus ces derniers jours : avec l'arrivée de l'automne, pour nombre de candidats au départ c'est la dernière chance de traverser avant plusieurs mois. Bientôt la porte naturelle qu'est la mer va encore se fermer d'avantage et ... les autorités pourront effectuer leur terrible bilan définitif bien qu'approximatif pour cette année 2006 : le nombre d'immigrés arrivés sur les îles de l'archipel des Canaries tourne à ce jour autour de 20 000 pour l'année 2006, soit 4 fois plus que l'année dernière. Ce chiffre ne tient bien-sûr pas compte des cadavres retrouvés sur les côtes de part et d'autre ni du nombre de disparus à la suite de naufrages.
Mais oui nous en reparlerons de cette immigration clandestine pour cause de campagne électorale française, par "procuration" en quelle sorte ... car on sait combien le débat de l'immigration passionne, d'autant qu'il est le cheval de bataille de certains candidats à la plus haute responsabilité de l'Etat français.
14:05 Publié dans 1. Regards sur la Mer | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : océan, mer, traversée
lundi, 24 juillet 2006
Bruno Peyron et Orange II : retour sur l'exploit (fin)
Comme promis voici donc la seconde et dernière partie : quelques réflexions sur l'exploit réalisé par Orange II lors de sa traversée record de l'Atlantique Nord.
Pourquoi et comment ce record peut-il être encore amélioré ?
Ce record paraît énorme et pourtant Bruno Peyron l'a dit lui-même il est possible de faire beaucoup mieux et de passer sous la barre des 4 jours pour traverser l'Atlantique à la voile dès aujourd'hui, voici quelques pistes.
Tout d'abord l'équipage n'était pas au top (si, si !), ayant tous pris l'avion dans la précipitation la veille du grand départ. Victimes du jet-lag les hommes de l'équipage n'étaient pas à 100% de leurs capacités.
Ensuite parce que la fenêtre météo bien qu'excellente n'était pas idéale. Bruno Peyron "Au total sur cette traversée, nous avons effectué 10 prises de ris et 13 changements de voile". Là où Fossett n'avait fait aucune manoeuvre et avait filer tout droit ! Particulièrement sur la fin où la ligne d'arrivée a été franchi par Orange II à coup d'empannages, là où Steve Fossett et son PlayStation avait fait un seul et unique bord !
Par ailleurs l'avarie de safran qui a eu lieu à mi-parcours, rendant le bateau délicat à la barre, a obligé Bruno Peyron à jouer la sécurité et à ralentir volontairement Orange II. Au final "On a perdu entre 6 et 8 heures avec cette histoire de safran" reconnaissait Bruno Peyron à l'arrivée.
Enfin Orange II a encore de la marge de progression. Bruno Peyron "J'avais fait le choix d'un bateau extrêmement fiable, ça se paie au niveau du poids. Et le poids, on peut en gagner beaucoup, on sait où et comment, mais on sait aussi combien ça coûte. Rien que sur le mât, on a 300-400 kilos en trop, c'est en outre un mât-cheminée qui n'a pas le meilleur profil en terme de vitesse."
Et pour couronner le tout l'expérience de navigation sur ce voilier Géant permet à chaque miles parcouru d'améliorer encore son potentiel. Le record des 24h a été battu en étant au dessus des polaires du bateau pourtant validées par un tour du monde et pas seulement parce qu'Orange II a été allégé de deux tonnes par rapport au Jules Verne, mais bien parce que plus la Dream Team navigue plus elle va vite !
Tous ces facteurs ajoutés ... et la barre de 4 jours pour traverser l'Atlantique à la voile vole en éclat.
L'homme Bruno Peyron
Si, comme nous venons de le voir plus haut, ce record n'est pas la perf de l'année, Bruno Peyron s'estime satisfait de ce résultat; d'abord parce qu'avec cette avarie de safran Orange II et son équipage auraient pu y rester et surtout parce que ce résultat laisse une marge de progression suffisante aux futurs adversaires !
Et oui chapeau bas M. Peyron ! Lui qui depuis de nombreuses années est frustré de ne pas avoir de concurrence sur l'eau dans la fameuse G-Class, lui qui rêvait de confronter les multi-coques géants après sa débauche d'énergie qu'était The Race et bien aujourd'hui encore il continue de croire en l'avenir de ces maxi voiliers. J'en connais qui pour moins que ça seraient devenus aigris ... et bien non, lui sans ressentiment encourage les nouvelles écuries : Pascal Bidégorry était à bord lors de ce record (nous y reviendrons) et Franck Cammas en voisin de ponton à Lorient a aussi navigué sur Orange II !!
Ce grand homme de mer (3 Jules Verne, 3 records de l'Atlantique dont 2 en solitaire ... quand même) s'est aussi révélé lors des vacations vidéos sur ce record excellent en relations publiques. Pourtant, surtout les 2 premiers jours, mettre le casque sur les oreilles, prendre le micro et regarder la caméra n'était pas un exercice facile (je l'entends encore : "Excusez-moi j'interrompt l'ITW" 30 sec plus tard "Oui je n'entendais plus l'eau sous la coque, elle décolle, nous sommes un peu limite. Alors pour en revenir à votre question ...") mais il a été là comme ailleurs (je pense en particulier aux choix techniques et à la gestion des hommes) irréprochable : pédagogique, courtois, disponible, tout ça avec la fatigue (il n'a quasiment pas dormi car il lui faut 3 jours pour prendre un nouveau rythme de sommeil); bref Bruno Peyron un grand Homme et pas seulement de mer.
Prochains objectifs ?
Déjà détenteur de nombreux record : Tour du Monde sans escale (Jules Vernes), record absolu des 24h, traversée de l'Atlantique Nord la plus rapide de l'histoire; que faire après ?
Et bien passer la barre des 800 miles en 24h "je reste aussi optimiste quant au record des 24 heures : sur cette journée, nous avons effectué huit manœuvres, il y a de la marge…" ou bien descendre le record de l'Atlantique sous la barre des 4 jours ... lorsqu'il sera attaqué par d'autres.
Mais aussi se lancer sur d'autres records pour bien figurer dans le tout nouveau et tout premier Championnat du monde des records.
Ou pourquoi pas essayer de battre le record de distance à la voile en 24h en solo sur le géant Orange II. Bruno Peyron évoquait ce projet fou cet hiver ... peut-être va t'il maintenant devenir d'actualité !
Quelques hommes d'équipage
Enfin pour terminer ces 2 chroniques je souhaitais attirer votre attention sur quelques hommes d'équipage
2 hommes qui battent pour la seconde fois ce record (ils l'avaient réalisé sur d'autres engins) :
. Bernard Stamm aussi détenteur du record en monocoque 60 pieds
. Jacques Caraes aussi détenteur du record à bord du maxi monocoque Mari-Cha IV.
Gens qui rient et gens qui pleurent
. Pascal Bidégorry était présent sur ce record (bien que futur concurrent) et cela "grâce" au chavirage de son trimaran Banque Pop sur la Multi'Cup à Nice
. Lionel Lemonchois qui selon toute vraisemblance avait sa place à bord, était lui concurrent sur l'Odyssée Cannes-Istanbul (course en double en Figaro) dont il termine 3ième associé à Bertrand de Broc ... Non seulement pas de record à la clef pour lui mais une course pénible en Méditerranée avec beaucoup de moteur et d'attente entre pétole et coups de vents.
18:05 Publié dans 1. Regards sur la Mer | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : record à la voile, catamaran géant, g-class, océan
vendredi, 21 juillet 2006
Bruno Peyron et Orange II : retour sur l'exploit (partie I/II)
Rappel
Pour ceux qui l'aurait raté : "Ils l'ont fait ! Bruno Peyron et ses onze hommes d'équipage ont battu le record de la traversée de l'Atlantique Nord à la voile, détenu depuis octobre 2001 par Steve Fossett. Orange II a coupé la ligne d'arrivée au Cap Lizard après 4 jours 8 heures 23 minutes et 54 secondes, soit un gain de 9 heures 4 minutes 12 secondes, à la moyenne de 28,02 noeuds." Lire le résumé complet de la navigation.
Petit éclairage personnel sur cet exploit ainsi que sur l'avenir d'Orange II en 2 parties.
L'arrivée : un moment magique !
L'arrivée d'Orange II s'est effectuée en début de soirée, à cet instant magique où entre chiens et loups la luminosité décline et où les phares comme celui du Cap Lizard s'allument. Ce phare, même si la ligne est grande, que viennent saluer tous les bateaux qui traversent l'Atlantique Nord en mode record. En effet bien que la ligne imaginaire à franchir soit très large (elle va du Cap Lizard, au sud-ouest de l'Angleterre, à la pointe de la Bretagne !) il est plus favorable de passer au Nord de cette ligne : arriver au pied des falaises raccourcit considérablement la route en provenance de New York ... et c'est beau, très beau même, voir la vidéo intitulée "ORANGE 2 VUE DU CIEL" sur la page multimédia de l'Orange Sailing Team.
Une difficultés particulière rencontrée sur ce record : le brouillard
Et oui aussi étonnant que cela puisse paraître en début du mois de juillet pour l'hémisphère Nord, le brouillard a accompagné Orange II sur la grande majorité du parcours. Ce brouillard qui se forme lorsqu'une masse d'air chaude et humide rencontre la surface froide de l'océan. La présence de ces conditions météo a 2 conséquences :
1. c'est pas terrible pour les perf, dixit Bruno Peyron lors d'une vacation : "C'est assez difficile de barrer à des vitesses élevées sans avoir la visibilité". Si il s'agit d'un handicap relativement petit, car les barreurs sont habitués à barrer 'à l'aveugle' en particulier de nuit, ce handicap n'en est pas moins bien réel car l'été les journées sont plus longues et du coup le manque à gagner dû au brouillard est d'autant plus grand ...
2. Mais le vrai problème avec le brouillard : c'est qu'il augmente les risques de collision, l'équipage d'Orange II a croisé un navire marchand et "Entre sa vitesse et la nôtre, on avait une vitesse de rapprochement de 50 nœuds, il a fallu abattre en catastrophe pour l'éviter" ... cela fait froid dans le dos ! Pour donner une idée aux non marins : à cette vitesse et compte tenu de la visibilité à ce moment là, environ 3 miles, l'équipage dispose de 3 minutes entre la première ombre qui se dessine sur l'horizon et l'impact potentiel avec l'autre bateau. Belle règle de 3, non ? Heureusement si le progrès fait rage, le monde reste bien fait : en même temps que les bateaux à voile comme à moteur vont de plus en plus vite, les techniques de détection et de localisation des navires elles aussi évoluent (radar, mer veille, télécommunications, GPS) et permettent de "voir" dans le brouillard et ainsi d'éviter le pire.
17:10 Publié dans 1. Regards sur la Mer | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voile, phare, record, océan