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jeudi, 23 novembre 2006

Route du Rhum, analyse d'une victoire


Yvan Bourgnon expert ...
en navigation très tendue !
Sa victoire à lui sur cette Route du Rhum 2006 ?
Avoir terminé sa première transat en trimaran !

Alors que la Route du Rhum 2006 touche à sa fin, je cherche toujours à comprendre "le pourquoi et le comment" de la victoire si éclatante de Lionel Lemonchois dans la catégorie reine des trimarans 60 pieds. Cette victoire a surpris et réjouit tant de monde dans le microcosme de la voile héxagonale que je pensais trouver une analyse approfondie de cette première place sous la plume d'un autre ... En son absence j'ai décidé d'effectuer une synthèse des facteurs de cette victoire sans appel avec en bonus un éclairage personnel (*).

 

La victoire d'un solitaire, c'est aussi celle d'une équipe

Franchir la ligne en vainqueur n'est possible que grâce à un enchaînement d'éléments dont certains sont extérieurs au marin qui prend le départ. Reprenons cette chaîne de valeurs en y ajoutant un petit grain de "sel" :

- zéro soucis technique sur Gitana XI, consécration du travail de toute une équipe : merci au cabinet d'architectes VPLP pour la conception, aux chantiers navals CDK et Gepeto pour la construction, aux préparateurs du Gitana Team (shore team dans lequel il faut inclure le précédent skipper de Gitana XI : Frédéric Le Peutrec) pour l'entretien voire les améliorations apportées au voilier

- des conditions de navigation très favorables permettant de "pulvériser" (pour une fois le mot n'est pas galvaudé) le temps record de l'épreuve. Si on entre dans les détails : une météo presque idéale (du vent portant mais pas trop, fort juste comme il faut, la seule amélioration possible ? la petite mole du départ) + des nuits claires grâce à une lune montante (lors des manoeuvres en solo la présence lumineuse de la lune ça change tout !)

- pour le routage, une stratégie parfaite jonglant avec les phénomènes météo, quasiment sur la route directe, merci à Yann Guichard

- bravo à Loïck Peyron pour avoir "rappelé" au sein du Gitana Team Lionel Lemonchois

- merci aussi au Baron et à "ses financiers" qui ont apporté le budget !

 

Une victoire signée Lionel Lemonchois

Pour expliquer cette victoire les médias parlent aussi du skipper Lionel Lemonchois himself, un skipper qui a su imprimer un rythme effréné à cette transat, un train d'enfer que les autres marins ont clairement subi. Certains d'entre eux d'ailleurs le reconnaissent volontiers une fois la ligne d'arrivée franchie : ils étaient "à la ramasse", incapables d'appuyer d'avantage sur le champignon, contraints de tenter de petites options météo, de créer de micro décalages (voir les routes de Coville ou Bourgnon) pour combler leur retard.

 

Des facteurs restés dans l'ombre

A mettre au crédit de cette victoire il y a aussi quelques éléments restés plus discrets. Par exemple la confirmation qu'être devant dès le départ cela rend intelligent. Lionel Lemonchois lors de la conférence de presse de l'arrivée à Pointe-à-Pitre reconnaît "La situation météorologique a été plus favorable pour moi que pour mes concurrents au fil des jours (...). Ma position permettait d’augmenter l’avance". Ou encore les progrès phénoménaux des systèmes de pilotes automatiques qui ont, entre autre, permis à Lionel de prendre ses désormais fameuses "4 heures de blanc" sans pour autant se mettre sur le toit alors que dehors ça soufflait fort. Enfin la tranquillité d'esprit que lui a conféré sa situation de mercenaire contrairement à d'autres skippers qui ont sur les épaules le poids de toute une écurie voir qui sont propriétaires du bateau comme Alain Gautier qui avouait à l'arrivée « Moi, je suis propriétaire du bateau et, inconsciemment, j'ai été moins libéré. J'ai sûrement freiné alors qu'un pilote comme Lionel Lemonchois, à qui on confie une machine, était visiblement libéré de cette contrainte ».

 

L'analyse complémentaire de Liens de Mer

Tous ces points les médias s'en sont plus ou moins fait l'écho. Mais personnellement ce que je trouve, et de loin, le plus exceptionnel (finalement ce que je retiendrais de cette extraordinaire performance) c'est un drôle de paradoxe : Lionel Lemonchois c'était à la fois le moins expérimenté et le plus expérimenté des skippers engagés ! Explications.

Lionel a souvent navigué sur des trimarans mais manque d'expérience en solo sur ces engins (lire le dernier paragraphe d'un article rédigé avant le départ de la course) par exemple il a rarement été skipper (sauf en grand prix) et il n'avait jamais traversé l'Atlantique en solo à bord d'un trimaran. Il n'a pas non plus l'expérience d'un chavirage qui a fait renoncer plus d'un skipper à cette discipline (De Broc, Jean Le Cam, Armel Le Cleac'h) et qui a fait lever le pied à nombre de ses concurrents sur cette Route du Rhum comme ils l'ont reconnu lors des vacations en direct du large (Franck Cammas "je me sens pas d'aller plus vite") ou à l'arrivée (Michel Desjoyeaux "Il y a deux ou trois nuits où j’ai tellement réduit la toile que le bateau ne pouvait pas chavirer", Thomas Coville "Lionel et Pascal ... des tueurs ... qui ont su prendre des risques que j'ai pas oser prendre"). Le fait de ne pas avoir vécu dans sa chair cette expérience traumatisante, on ne pourra jamais empêcher un multicoque de se retourner, a joué dans son évaluation du niveau de risque : Lionel a paru complètement libéré et n'a avoué s'être fait peur qu'à une seule reprise, flirtant avec la limite, il s'est fait surprendre par la puissance du voilier juste après le passage d'un front.

Mais le paradoxe réside dans le fait que si Lionel Lemonchois a une expérience limitée du trimaran en solo, c'est pourtant lui qui a le plus d'expérience sur le plateau des bateaux engagés. Cette expérience lui a donné un ascendant psychologique supplémentaire, il le reconnaît lui-même :"j’avais aussi l’avantage d’avoir navigué sur plusieurs trimarans (NDLR lors de la Transat Jacques Vabre 2005 : 1er avec Pascal Bidégorry sur Banque Populaire IV, sur la course Londres-Nice 2006 : 1er avec Franck Cammas sur Groupama 2, il a aussi effectué des navigations sur Sopra d'Antoine Koch, sister-ship d'Orange Project de Stève Ravussin) et donc de bien connaître aussi l’état d’esprit et le comportement des autres solitaires. C’était un plus incontestable d’appréhender à la fois les qualités des bateaux et des skippers. Cela m’a permis de marquer des points aux moments les plus importants". Bref Lionel connaissait bien ses adversaires aussi bien les bonhommes que les voiliers et il a su en jouer comme d'une arme contre ses concurrents, ne se privant pas de leur mettre une pression supplémentaire savamment distillée lors des vacations dans la seconde moitié de course, j'entend encore raisonner un "Pascal (NDLR Bidégorry alors second sur les talons de Lionel) je suis sûr qu'il doit avoir un problème de voile d'avant (gennaker), ce n'est pas possible qu'il en soit autrement ... il se traîne !".

 

En navigation solitaire ce qui se passe dans la tête du marin est primordial et dans ce domaine aussi Lionel Lemonchois a été très très fort durant les quelques 7 jours 17 heures 19 minutes et 6 secondes qu'a duré cette transat express, écrasant ses adversaires par une sorte d'état de grâce soigneusement entretenu. D'ailleurs à l'arrivée certains observateurs ont noté que sa posture habituelle un peu voûtée, sa gestuelle emprunte et sa réserve ont volés en éclat assumant pleinement sa victoire (pourtant lui-même reconnaissait, peu avant de franchir la ligne, sa franche appréhension d'avoir à affronter la foule) ... Même la fatigue semblait ne plus avoir prise sur un Lionel au moral de vainqueur.

Tout se passe dans la tête c'est aussi ce qu'est en train de prouver à travers un autre exercice, mais toujours en solitaire sur l'eau et à la voile, Maud Fontenoy engagée dans un défi fou qui tient bon malgré 2 fractures, une au pied et l'autre à la main, alors qu'elle n'a même pas accompli 1/3 du parcours. Pour reprendre ses propres mots "ah tu sais je ne m'en fais pas trop, c'est le moral qui commande y compris au physique" !


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(*) vous trouvez que cet article arrive un peu tard ? Et oui le net vous a habitué à l'instantanéité mais Liens de Mer, comme les magazines "voileux" dans leurs meilleures éditions papier, prend parfois le temps de digérer l'info, de se mettre en retrait pour porter un regard avec un peu plus de recul c'est ce qui fait la valeur d'une note.

lundi, 06 novembre 2006

Route du Rhum, une victoire et la suite ?


Une victoire d'abord ça se savoure ...
mais après ?

(sous-titre : une victoire dans le Rhum ça change quoi ?)

 

Pour Lionel Lemonchois cette victoire dans la Route du Rhum 2006 signe peut-être la fin de sa carrière de 'mercenaire' à bord du voilier des autres, lui qui s'était fait ces dernières années une spécialité : seconder les meilleurs skippers (souvent sur des courses en double) avec de très beaux résultats à la clef ! A moins qu'il ne tienne par dessus tout à sa sacro sainte liberté et ne souhaite se tenir à l'écart de la pesante "logistique" inhérante aux skippers modernes ?

 

Quant au Baron Benjamin de Rothschild espérons que la victoire de son écurie lui donne une légitimité supplémentaire aux yeux du milieu de la course au large française pour mener à bien le projet de réforme de la moribonde classe ORMA, chantier qu'il a déjà sérieusement entamé sur 2006 mais avec un résultat plutôt mitigé ...